Le récent et second projet de loi du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, le CESEDA (Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile) pose comme critère déterminant pour l’obtention d’un titre de séjour – critère laissé à l’appréciation des préfets- « l’intégration républicaine de l’individu ». A quoi renvoie cette notion, le CESEDA ne le spécifie pas encore.
« Intégration » est un terme récurrent depuis une quinzaine d’années dans le discours politique et médiatique. Il suppose une adhésion des individus récemment arrivés, à des valeurs, voire une identification à celle-ci, double mouvement qui garantirait la cohésion du corps social.
La France ne semble pas avoir véritablement mis en œuvre des politiques d’intégration. Elle s’est reposée sur l’idée que le système de protection sociale, le travail mais surtout l’école, permettaient d’insérer durablement des populations récemment arrivées dans le tissu de la société française. Quels seraient les dispositifs législatifs et institutionnels qui assureraient cette insertion des populations, et dans quels domaines ? Sur quels critères s’appuyer pour déterminer la réussite d’une intégration ? De nombreux pays d’Europe ont, bien avant la France, mis en place des politiques actives d’intégration. Quels en ont été les fruits, dans un contexte de restriction massive de l’accès à la nationalité ?
Introduction : La convergence des politiques d’intégration en Europe (I.Michalowski)
Si, naguère, les politiques d’intégration en Europe divergeaient fortement – il était courant d’opposer le républicanisme français et le système rotatif allemand des Gastarbeiter - on ne peut que noter aujourd’hui les ressemblances croissantes des politiques d’intégration. Le constat d’un échec de la vocation intégratrice de l’école, les difficultés linguistiques rencontrées par les migrants, l’ampleur des discriminations à l’emploi ainsi que les limites de l’Etat Providence, dénoncées à la fin des années 90 et plus récemment en France dans un rapport de la Cour des comptes (2004), sont, dans plusieurs pays d’Europe, à l’origine de programmes politiques d’intégration qui participent d’un même esprit.
Fer de lance de ces programmes, la politique néerlandaise de 1998, destinée aux primo-arrivants, a servi de modèle pour les pays européens. Parallèlement, la convergence européenne des politiques d’intégration a imposé l’harmonisation des contrôles des flux, de la question de l’asile et de l’intégration. Un socle commun de quelques principes, charpentés surtout autour de l’adoption, par les nouveaux migrants, de valeurs du pays d’accueil a été établi. Toutefois, l’intégration n’a jamais été l’objet, à l’échelle européenne, d’une véritable définition.
I) Du modèle républicain à des modèles culturalistes hybrides : les cas belges et français (E. Le Texier)
Le cas de la Belgique résume bien, sur un espace limité, les trois voies d’intégration expérimentées en Europe. Pays d’immigration depuis le XIXe siècle, la Belgique compte à l’instar de son voisin français, 12% de personnes d’origine étrangère sur une population de 10 millions d’habitants. Cette immigration séquencée en plusieurs vagues a vu arriver, dans les années 1950, une migration européenne de travail, en provenance de Grèce et d’Italie qui s’orientait vers l’industrie sidérurgique alors en pleine essor ; dans les années 1960, elle est relayée par une immigration venue du Maroc et de Turquie et des anciennes colonies (Rwanda, Congo..). Comme dans le reste de l’Europe, les flux migratoires et les régularisations se heurtent, à partir des années 1970, à une politique restrictive.
Du fait de la structure fédérale de la Belgique, les politiques d’intégration mises en œuvre à partir de 1984, sont décentralisées et prennent une triple forme : côté flamand, le modèle multiculturaliste néerlandais prévaut, tandis que le versant francophone favorise un modèle républicain ; Bruxelles, au centre, opte pour un modèle hybride. Cependant, dans un premier temps, c’est plutôt une vision limitative du code de la nationalité qui l’emporte, portant en blason l’équation entre la nationalité et l’expression d’un désir d’appartenance à une communauté nationale. En 1989, la création du Centre pour l’Egalité des chances qui inspire 15 ans plus tard le modèle de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité), se fait l’écho d’une directive européenne. Un troisième tournant s’opère en 1991 quand éclatent de grandes émeutes urbaines à Bruxelles, accélérant la mise en place d’une politique de financement de programmes et d’aides aux associations. Une ouverture du code de la nationalité, appariée à une réforme du programme de régularisation, offre, par ailleurs, la nationalité à tout résident régulier présent en Belgique depuis 7 ans, sur simple déclaration. Enfin, une dernière réforme accorde le droit de vote aux étrangers extra-européens, qui sera mise à l’épreuve dès 2006.
Cette politique très libérale s’accompagne de dispositifs d’intégration sur le marché de l’emploi, selon trois modèles divergents, francophone, flamand et bruxellois.
Le modèle flamand s’inspire largement de l’expérience hollandaise qui s’appuie sur une population multilinguistique et préconise le développement de l’affirmative action, de zones d’éducation prioritaires et d’intégrations multiculturelles. La Flandre propose, dans cette même lignée, un programme assimilationniste composé de cours de langues, de cours d’histoire de la Flandre et d’informations sur le marché de l’emploi. La Wallonie s’oriente à l’inverse, vers un modèle républicain à la française qui préfère évoquer les « classes sociales défavorisées » plutôt que les minorités et contourner les questions d’ethnicité. Face au constat, en 1990, du double échec à l’école et sur le marché de l’emploi, des jeunes d’origine marocaine, elle amorce une politique plus multiculturaliste, prenant congé de ses premiers principes.
La France connaît une évolution fort semblable. Confrontée à partir des années 1960-70, à une immigration extra-européenne, elle fait cependant l’économie d’une politique d’intégration et se contente de déployer une politique de gestion des flux migratoires et d’accès à la nationalité. A l’instar de la Belgique, elle connaît, avec les lois Pasqua, un épisode restrictif qui reprend l’expression du désir d’être français comme condition nécessaire d’accès à la nationalité, lois révisées en 1998 avec le gouvernement Jospin. Ce n’est également qu’à cette même date que sont mises en place les politiques d’intégration avec l’éphémère Plateforme d’Accueil et d’Intégration qui dispensait, à titre facultatif, quelques heures de français et d’éducation civique aux migrants. En 2004, un contrat d’accueil et d’intégration, disséminé dans quelques régions et fondé sur le volontariat se révèle aussi peu probant.
Aussi, en 2003 tire-t-on argument de cet échec pour promouvoir une pénalisation du migrant inconstant et en 2005, pour rendre ce contrat obligatoire. Cette vision assimilationniste de l’intégration apparaît en filigrane comme un moyen de contrôle des migrants. Plus globalement, les dernières politiques d’intégration mises en place en Europe s’avèrent moins des instruments d’intégration que de contrôle des flux, posant parfois des conditions de sélection dès le pays de départ, redoublant ainsi la force restrictive des quotas professionnels. A rebours de l’injonction d’intégration proclamée par ces politiques, ces dispositions envisagent avant tout le migrant comme un travailleurs temporaire.
Il est emblématique, à cet égard, que la HALDE, le Haut Conseil à l’Intégration et la politique des ZEP aient été fondées sans définir préalablement leurs instruments et leur champ d’action. On ne peut guère s’étonner dès lors d’assister actuellement à une hybridation du modèle français, tandis que les associations tentent de suppléer les vides laissés par les instances institutionnelles, et ce faisant, entrent en concurrence avec elles en réinvestissant la question des discriminations.
II) La politique d’intégration comme contrôle : les cas néerlandais et allemands (I.Michalowski)
Dans leur forme initiale, les programmes d’intégration visaient à augmenter les chances des migrants sur le marché de l’emploi. En 1998, aux Pays-Bas, une loi sur l’accueil des primo-arrivants prévoyait 550 puis 800 heures de cours de langue ainsi qu’une orientation professionnelle et des sanctions financières –principalement une réduction des aides sociales- pour les migrants peu assidus ( sanctions qui n’ont jamais été appliquées). Ce programme linguistique et professionnel qui remporta un certain succès, suscita une discussion sur le contenu des cours qui devait selon certains embrasser les valeurs et des règles de politesses.
Un programme similaire a été adopté plus tardivement en Allemagne, lorsque la majorité SPD arrivée au pouvoir a proposé en septembre 2001 une loi sur l’immigration accompagnée d’un programme d’intégration. Cette loi entrée en vigueur en 2005, après quatre années de débats houleux, propose également 600 heures de cours de langues, des cours d’éducation civique et quelques rudiments sur la culture allemande ; elle menace, en contrepoint, de ne pas accorder une carte de résident à ceux qui refuseraient d’y participer. Ces programmes rétroactifs, en Allemagne comme aux Pays-Bas pour les oudcomers résidents de longue date, ont été un demi-échec, outre-Rhin, enregistrant un nombre assez élevé de défections et d’abandons ; plus encore, parmi la moitié des participants restants, l’intégration sur le marché s’est avérée très faible, ne touchant que 6% des personnes, le plus souvent hautement qualifiées.
Une réflexion s’est donc engagée sur l’efficacité de ces programmes et a mis en exergue la nécessité de sélectionner les ouvriers qualifiés. Depuis le 15 mars 2006, une nouvelle loi aux Pays-Bas demande ainsi, pour la procédure du regroupement familial, au conjoint resté au pays, de passer un test de 10 minutes au téléphone. Ce test qui suppose la maîtrise de 500 mots a un prix : il peut se préparer à l’aide d’un fascicule (d’un montant de 60 euros) et coûte environ 350 euros. Une troisième solution a été d’abandonner les programmes, mais de maintenir un test pour une carte de résident, laissant au migrant le soin de suivre indépendamment un cours de langue.
Aux Pays-Bas, dans un contexte de montée de la droite, la tendance au contrôle se manifeste également à travers l’inflation des conditions d’intégration, dont la surenchère est révélatrice du paternalisme des institutions à l’égard des nouveaux migrants. Alors que, naguère, quelques preuves d’adhésion aux valeurs du pays étaient requises au moment de l’acquisition de la nationalité, le processus de contrôle s’est désormais étendu à l’étape de l’obtention de la carte de résident. Si ce procédé revient à une directive européenne sur le statut de longue durée, qui offre aux Etats membres la possibilité d’exiger des conditions d’intégration, la pertinence des contenus des valeurs n’a guère été interrogée. Les Pays Bas ont poussé à son comble cette tendance en exigeant du migrant de remplir des conditions d’intégration avant même son départ. Ces politiques d’intégration sont, elles aussi, déviées vers des politiques de contrôle des flux, qui s’externalisent.
Conclusion : regards croisés Europe/ Etats-Unis
Quant aux Etats-Unis, ils ne présentent pas vraiment de politiques d’intégration. Après avoir fonctionné sur un modèle normatif sans contrainte aux XVIIIe et XIXe siècles, et après l’adoption d’un pluralisme culturel aujourd’hui, les questions d’intégration apparaissent actuellement à travers le débat colonial ou post-colonial aux Etats-Unis, un thème qui peine à être abordé en France, sinon par les historiens, du moins par l’institution. Tandis qu’aux Etats-Unis, les anciens migrants ont participé à l’écriture de leur histoire, ce mouvement semble encore imperceptible en Europe. La France, en particulier, semble encore prisonnière d’une schizophrénie, partagée entre déni des origines et exigence d’une identification de celles-ci. L’exemple américain permet de saisir le problème de l’assimilation dans une perspective intergénérationnelle plus vaste: si les premières générations se sont regroupées dans des ghettos, la tendance générale, dès que s’opère un mouvement d’ascension sociale est de déménager vers des quartiers de classes moyennes. Le cas américain qui montre, enfin, que l’assimilation fonctionne davantage avec des individus et moins avec des groupes ouvre en somme une perspective plus optimiste sur le problème de l’intégration.
Propositions :
à Entamer un travail de réécriture de l’histoire en plaçant, par exemple, les religions dans l’enseignement scolaire.
à Séparer le contrat d’accueil et d’intégration du contrôle des flux et faciliter le regroupement familial
à Ouvrir une deuxième voie pour l’immigration de travail soumis à des critères de qualification
à En France, les politiques d’intégrations ne devraient pas relever uniquement de la sphère étatique mais aussi des associations de migrants afin que les sujets principaux de ces politiques en soient aussi les acteurs
Commentaires