Note du Groupe "Géopolitique" du GBF
Victor Venet et François Protto
La hausse soutenue des cours du pétrole ces dernières années a placé le pétrole en tête des priorités à la fois économiques – du fait de l’impact de la hausse des cours sur l’activité économique – et géostratégiques des Etats-Unis et de l’Union Européenne. En Afrique Subsaharienne, une douzaine d’Etats, proches pour la plupart du Golfe de Guinée, produisent du pétrole. Ils constituent un espace où se rencontrent et parfois s’opposent les intérêts énergétiques et géostratégiques américains et européens. La nouvelle donne énergétique et géopolitique intensifie la compétition pour le contrôle de l’approvisionnement en pétrole en Afrique Subsaharienne. Les approches des Etats-Unis et de l’Union Européenne sont néanmoins très différentes ; les résultats de leurs efforts le sont aussi.
La nouvelle donne énergétique et géopolitique et la compétition pour les ressources pétrolières en Afrique Subsaharienne
La dépendance énergétique en matière de pétrole des Etats-Unis (48,4%) et de l’Union Européenne (75%) est considérable. Elle va s’accroître du fait de la faible taille des réserves en Amérique du Nord et en Europe (respectivement 5% et 2% des réserves prouvées mondiales) pour atteindre 85% pour l’Union Européenne. De plus, nouveaux consommateurs tels de la Chine (consommation de 7,4 millions de barils par jour contre 21 pour les Etats Unis) poussent la demande à la hausse. Elle croît de 3% par an depuis 2003 contre 1 à 2% par an pendant les années 90 ; cette demande est tirée par des pays tels que la Chine dont les besoins énergétiques croissent fortement en raison de sa très forte croissance économique (en Chine, la croissance de la consommation de pétrole est de 15% par an depuis 2004).
Pourtant, les réserves ne sont pas infinies. Le déclin de 4 à 6% par an de la production mondiale est évoqué très sérieusement par les compagnies pétrolières.
Ces effets conjugués suffiraient à eux seuls à expliquer le regain d’intérêt pour le pétrole d’Afrique Subsaharienne. Si les réserves pétrolières prouvées de l’Afrique Subsaharienne ne représentent que 7%, une grande partie de son territoire reste à prospecter. Ce potentiel de croissance de ses réserves fait déjà de l’Afrique Subsaharienne une zone pétrolifère clé où les Américains et les Européens se doivent d’être présents. De plus, la hausse du prix du pétrole ces dernières années permet l’exploitation de zones en Afrique Subsaharienne où le coût d’extraction et de transport est élevé du fait, entre autres, du manque d’infrastructures.
La géopolitique est pourtant le facteur qui influence le plus le prix du pétrole. Ainsi, le Moyen Orient qui possède 67% des réserves prouvées est particulièrement instable depuis les attentats du 11 septembre 2001 et plus encore depuis la seconde guerre en Irak et l’instabilité est synonyme de hausse des cours du pétrole. Les Etats-Unis et l’Union Européenne constatent depuis quelque temps déjà que cette dépendance fait peser un risque important sur leurs économies. Les chocs pétroliers et le rôle joué par l’OPEP ont été porteurs d’enseignements. Dans ce contexte, les Etats-Unis souhaitent diminuer de 75% leur dépendance énergétique d’ici 2025. Si la recherche d’alternatives énergétiques est une piste, elle dépendra des avancées technologiques en la matière. En revanche, les réserves de l’Afrique Sahariennes sont déjà disponibles. Ainsi les Etats-Unis prévoient de s’approvisionner en pétrole en Afrique Subsaharienne à 25% contre 15% actuellement.
Si l’Afrique Subsaharienne n’est pas moins instable que le Moyen Orient, ses choix pétroliers ne sont pas influencés par les mêmes facteurs. Ainsi, le fait que certains des pays (l’Angola, le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Congo-Brazzaville et le Cameroun) ne soient pas membres de l’OPEP assure une certaine décorrélation entre les événements du Moyen Orient et les décisions prises en matière pétrolière par ces pays et offre aux Américains et aux Européens une plus grande sécurité des approvisionnements.
Les approches des Etats-Unis et de l’Union Européenne en matière de politique pétrolière envers l’Afrique Subsaharienne sont très différentes
L’Union Européenne privilégie une approche multilatérale de la politique énergétique qui se construit par des documents de synthèse ou lors de forums . Si 47% des habitants de l’Union sont favorables à une politique énergétique européenne , elle se concentre plus sur les relations entre les Etats membres que sur la sécurité de l’approvisionnement extérieur en pétrole. Par conséquent, le thème de l’approvisionnement en Afrique Subsaharienne n’est pas au centre des discussions au sein de l’Union . Ce thème n’est pourtant pas délaissé par les états membres qui mènent une politique étrangères active. La France est particulièrement présente. Elle est, par exemple, le premier bailleur de fonds du Congo-Brazzaville. C’est aussi à son initiative qu’à été relancé récemment le débat sur la nécessité d’une prolitique énergétique européenne centrée sur la sécurité des approvisonnements.
Les Etats-Unis ont une approche plus pragamatique qui comprend trois volets : économique, militaire et politique. L’African Growth and Opportunity Act, lancé en 2000, a permis, entre autres, de réduire de 90% les droits de douane des produits exportés par l’Afrique Subsaharienne aux Etats-Unis et d’augmenter les exportations vers les Etats-Unis de 25%. Or, 80% des échanges entre l’Afrique Subsaharienne et les Etats-Unis sont de nature pétrolière. Les Etats-Unis ont donc, sous l’impulsion du lobby African Oil Policy Initiative Group, investi dans leur indépendance énergétique. Afin d’assurer la continuité de ces approvisionnement ils ont aussi mis en œuvre une politique d’aide militaire (" Security Assistance to Subsaharan Africa ") qui a eu un succès mitigé. Pourtant les risque est réel ; les enlèvements d’expatriés et les attaques contre les sites pétroliers au Nigéria en ce début d’année en sont l’illustration. Côté politique, c’est encore le pragmatisme qui prime. Ainsi les Etats-Unis ont opéré un rapprochement certains pays sensibles tels que la Guinée Equatoriale.
En termes de résultats, les deux approches ont eu des succès différents. Les efforts diplomatiques américains telle que la tournée de George W. Bush en Afrique en juin 2003 ont porté leurs fruits et les Etats-Unis tendent à prendre des parts de marché aux compagnies pétrolières européennes.
Les résultats pour les pays d’Afrique Subsaharienne sont mitigés. Certains pays d’Afrique Subsaharienne tel que le Mali n’ont pas de réserves prouvées significatives de pétrole. Pourtant, ils font les frais de la facture pétrolière qui croît sans cesse depuis l’explosion du prix du baril en 2003. Même du côté des pays producteurs, les effets bénéfiques de l’exploitation pétrolière se font encore attendre. Les conditions négociées pour les concessions ne sont pas toujours avantageuses pour les pays africains. Ainsi, le Nigéria n’augmentera pas sa production de deux tiers, comme prévu initialement, car il n’y a pas intérêt au vu des conditions financières qui ont été négociées. Par conséquent, en cette période de hausse des cours, la tentation des pays de l’Afrique Subsaharienne de faire monter les enchères afin de récupérer une part plus importante des revenus de la manne pétrolière est grande. En termes d’amélioration du niveau de vie, les progrès sont limités. Ainsi, si le Tchad a connu une croissance de 38% en 2004, les effets se font peu sentir pour la population en termes de construction d’infrastructures ou de projets de développement.
Les Etats-Unis et l’Union Européenne ne sont plus les seuls à convoiter les ressources pétrolières en Afrique Subsaharienne. La Chine s’invite à la table des négociations. Ainsi, CNOOC, compagnie pétrolière chinoise, investit 2 milliards de dollars au Nigéria début 2006. De plus, la Chine est moins soucieuse que l’Union Européenne et les Etats-Unis de l’application des droits de l’Homme dans des pays tels que l’Angola et le Soudan en particulier lorsqu’il s’agit d’accéder à leurs réserves pétrolières.
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