Note de cadrage du groupe "Géopolitique" du GBF
1. Eléments de réflexion
Situation nouvelle, les Etats-Unis et l'Europe apparaissent de plus en plus fréquemment en situation de concurrence sur le théâtre africain.
La question du partage des intérêts pétroliers africains entre les Etats-Unis et l'Europe se pose au Nigeria, en Angola, au Congo, au Cameroun ou au Gabon. La concurrence sur les marchés s'intensifie. Les Etats-Unis reprennent, à Djibouti, une ancienne base de la Légion étrangère pour y installer leurs propres installations militaires. Depuis 1996, la France se sent visée par la poussée diplomatique américaine dans l'Afrique des grands lacs, et flouée dans sa mission d'avocate de l'Afrique lorsque les Etats-Unis lancent une Initiative en faveur de l’Afrique lors du sommet du G 7 de Denver de 1997.
La lutte d'influence à laquelle se sont livrés les Etats-Unis et la France auprès des capitales des membres africains du Conseil de sécurité de l'ONU durant la crise irakienne de 2003 constituent l'illustration diplomatique de cette rivalité nouvelle.
Cette situation est nouvelle car, au cours de la guerre froide, les Etats-Unis avaient en quelque sorte "délégué" la fonction de gendarme des intérêts occidentaux à l'Europe et en particulier à la France. En réalité, les Etats-Unis se sont longtemps désintéressé de l'Afrique. Malgré l'importance de la communauté noire américaine (12 % de la population), les intérêts américains sur le continent sont minimes. Les liens historiques sont lointains. Si le gouvernement américain a entretenu, dans un passé éloigné, une relation semi coloniale avec le Liberia, il n’y a pas de sentiment de responsabilité postcoloniale à Washington. L'Afrique est le seul continent où les Etats-Unis ne sont liés par aucune alliance de défense et leurs intérêts commerciaux y sont dérisoires.
De nouveaux enjeux conduisent en effet les Etats-Unis à s'intéresser au continent.
Mais aussi, parce que trop souvent, "Africa is bad news", des raisons négatives obligent les Etats-Unis à s'intéresser au continent. La pandémie du SIDA doit être contenue. La question de lutte contre les filières subsahariennes du terrorisme (Soudan, Libye, pays du Sahel) est un enjeu relativement récent, mais de plus en plus criant, pour la politique de défense américaine.
Les principes de l’intervention américaine en Afrique combinent des approches novatrices et une logique stratégique des plus classiques.
Depuis les années 1990, les Etats-Unis mènent une politique d’ « engagement sélectif », fondée sur la coopération d’un nombre restreint d’Etats. Ainsi, en matière économique, l'aide se focalise sur une sélection d'Etats jugés les plus à même de réussir leur développement économique (comme les "cinq lions africains": Nigeria, Tanzanie, Kenya, Afrique du Sud, Ghana). Cette aide a triplé sous le gouvernement Bush, pour atteindre un total de 3,2 milliards de dollars en 2004.
Dans le même temps, et dans la logique du principe Trade not aid, les Etats-Unis accordent une entrée préférentielle sur le marché américain à des produits venus de la zone Afrique et Caraïbes (African Growth and Opportunity Act de 1999).
En matière de sécurité, l'expérience somalienne de 1992-1993 a mis en évidence l'incapacité des moyens de coercition classiques à maîtriser les phénomènes conflictuels extra-étatiques qui sous-tendent la plupart des conflits africains actuels. Cherchant à éviter tout engagement direct, tout en conservant une certaine aptitude à maîtriser les crises, les Etats-Unis ont donc pour objectifs la recherche de solutions "africaines" aux problèmes africains et l’intégration mondiale du continent. Parallèlement, des programmes militaires (IMET, J-CET, ACRI) permettent de former et entraîner les armées nationales.
Ce nouvel interventionnisme, qui se pose en alternative à la politique africaine "ambiguë" qui a pu être celle de la France, incite l'Union européenne à approfondir ses relations politiques avec le continent.
Parallèlement, l'Union européenne, déjà forte d'une relation économique avec l'Afrique subsaharienne qui date de 1957, doit encore renforcer le volet politique de sa politique africaine.
Le traité de Rome de 1957 faisait des pays et des territoires d'outre-mer de certains États membres des associés. Le processus de décolonisation entamé au début des années 60 a transformé ce lien en une association d'un type différent, entre pays souverains. Dans la lignée des différentes Convention de Lomé signées depuis 1975, l'accord de Cotonou, signé en juin 2000, apparaît comme l'accord le plus ambitieux et le plus vaste conclu entre des pays développés et des pays en développement. Outre les concessions commerciales, de façon novatrice, il introduit des procédures devant faire face aux problèmes de violation des droits de l'homme. L'Union, si elle est la première contributrice à l'aide à Afrique (les programmes ACP font l'objet d'un financement de 25 milliards d'euros sur 7 ans) cherche ainsi à renforcer le volet politique de ses relations avec le continent.
L'intérêt de l'Afrique réside tout autant dans le partenariat que dans la concurrence entre l'Europe et les Etats-Unis.
Si la concurrence Américano-européenne sur le terrain africain peut avoir ses effets bénéfiques pour les africains (par un jeu de mise aux enchères des intérêts à prendre), ceux-ci ont au moins tout autant à tirer d'un partenariat transatlantique.
La mise en cohérence des programmes de développement est susceptible d'en démultiplier les effets. En matière militaire, la coopération permet à chacun de réduire le montant de sa contribution. Exemple fructueux de coopération transtlantique, le programme RECAMP (« Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix ») a été lancée conjointement par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni en 1997. Cette assistance militaire aux pays africains dans le domaine du maintien de la paix a déjà permis la mise en œuvre d'exercices dans plusieurs pays d’Afrique noire.
Guillaume Thibault
La question de la lutte d'influence en Afrique ne se borne pas, de loin, à l'Europe (avec un rôle éminent de la France, mais aussi du Royaume Uni) et aux Etats Unis : elle implique désormais la Chine, et dans une moindre mesure l'Inde, comme partenaires de première grandeur. La Chine, dont au moins 3 points de croissance dépendent de sa capacité à maîtriser les ressources en matières premières et en énergie, depuis trois ans a une politique d'une extrême activité en Afrique, et particulièrement dans les pays avec ressources pétrolières : +50% de flux d'investissements par an, 900M$ l'an dernier, où elle a dépassé la France, et dépassera bientôt les Etats Unis. L'Inde, où, à titre d'exemple, l'affaire Mittal qui défraie la chronique aurait pu mentionner que ce groupe prend soin d'une intégration verticale pour un accès à une ressource potentiellement de plus en plus rare, et a pour cela, outre ses principales ressources ukrainiennes, d'autres en Afrique...
S'agissant de "l'enlisement" en Côte d'Ivoire, faut-il plus y voir une déficience française, ou une déstabilisation qui n'est pas d'origine principalement intérieure à la Côte d'Ivoire?
Rédigé par : Postel-Vinay | 27 mars 2006 à 10:12