L'Union peine à accentuer le caractère politique de sa coopération avec les pays africains, au détriment de la dimension économique et humanitaire, déjà bien exploitée. Dans le même temps, l'élargissement à l'Est de l'Union a dilué l'influence de la France dans sa mission de porte-parole des intérêts de l'Afrique. Dans cette perspective, quel peut être l'avenir concret de la politique africaine de l'Union? Pistes de réflexion
" Convaincre les hommes de parler entre eux, c’est le plus qu’on puisse faire pour la paix. "
Jean Monnet, Mémoires, 715-6
En l’espace d’une dizaine d’années – depuis la première communication de la Commission sur les conflits en Afrique en 1993 jusqu’au lancement de l’opération Artémis en 2003 – l’Union est devenue un acteur clé en terme de sécurité dans les conflits ravageant l’Afrique sub-saharienne. Cette situation n’est pas uniquement liée à l’évolution du contexte africain, dominée par les crises et les conflits. Elle découle aussi de l’évolution interne des processus de décision, d’élaboration et de développement des " politiques étrangères " de l’Union. En amont, les accords de Cotonou conclu pour une durée de vingt ans et né en février 2000 de l’ancienne Convention de Lomé ont initié une nouvelle forme de partenariat autour de cinq piliers dont en première ligne le renforcement de la dimension politique. A cet effet, ces accords mettent en lumière le caractère essentiel du " dialogue politique " autour d’une procédure de consultation – Article 96 – systématique et formelle. Trois dispositifs sont concernés : le renforcement des principes démocratiques, le respect du droit et des droits de l’homme. Etabli à partir du document Horizon 2000, en réponse au rapport Berg de la Banque Mondiale, ce programme met ainsi en valeur l’inefficacité des structures et des politiques locales comme facteur premier d’échec de l’aide au développement et de fait, la nécessité de renforcer des critères de gouvernance démocratique, en accord avec les valeurs sociales et politiques européennes.
Cette nouvelle étape à l’aune des relations Europe-Afrique marque une première amorce dans la définition d’une politique européenne de soft power – appelant la diffusion et le développement de normes inhérentes aux valeurs propres de l’Union. L’introduction de mesures de conditionnalité en est ce sens la pierre angulaire de la coopération entre Europe et l’Afrique. Rappelons cependant que le principe même de systèmes d’aide mise en œuvre par l’Union sans dimension politique avait déjà été remis en cause par la convention de Lomé IV – renforcée en 1995 par l’introduction de critères de conditionnalité politique et par la promotion d’un système de suspension unilatérale en cas de violation des droits de l’homme ou de la démocratie.
Dans ce contexte, et en interne, l’élargissement de l’Union renforce l’orientation de l’Europe vers l’Est au dépens des pays du Sud, et en ce sens " dilue " l’importance des questions africaines en terme géopolitique. Si l’Europe n’a toujours pas de politique africaine digne de ce nom, en dépit de sa proximité géographique et historique avec ce continent, la dimension économique des actions menées par l’Union revêt néanmoins une dimension " politique " inhérente aux programmes mis en œuvre dans la mesure où les fonds engagés dépendent du fonds de développement européen basé sur une contribution directe des Etats Membres (la France figurant parmi les contributions les plus élevées). Par ailleurs, les actions menées sous l’égide du programme de Cotonou dépendent au sein des institutions de l’Union de la direction générale du Développement et non pas de celle des relations extérieures…autant dire qu’à ce stade, aide humanitaire et développement économique constituent les piliers clé des relations Europe-Afrique et qu’il s’agit là d’un premier élément de réflexion à considérer si l’on cherche à questionner l’avenir des politiques aujourd’hui engagées.
Par ailleurs, le développement d’une dynamique politique renforcée – dans le contexte actuel d’une Europe dont les prérogatives géopolitiques se concentrent vers les Balkans et la perspective de nouveaux élargissements – repose aussi sur la redéfinition ou plus encore la cohérence des actions menées par l’Union vis-à-vis des initiatives américaines et plus largement internationales. Actuellement, il semble que le système du NEPAD tend à diluer les actions de l’Union au sein du G8. La question de sa compatibilité avec les priorités européennes comme bailleur de fonds du G8 se pose alors: comment assurer la cohérence avec la convention de Cotonou, le programme MEDA ou même encore avec l’opération " Tout sauf armes " vis-à-vis des pays moins avancés, lorsque celle-ci semble elle-même en contradiction avec les accords de partenariats économiques préconisés par l’Union ?
Si l’on cherche à questionner le développement concret des politiques de l’Union en Afrique, un troisième acteur doit me semble-t-il être considéré comme piste de réflexion complémentaire. En effet, l’avenir des relations Europe-Afrique est d’autant plus un enjeu stratégique que la Chine porte un intérêt particulier à l’Afrique et participe au reclassement géopolitique actuel de ce continent. Si les relations entre la Chine et l’Afrique sont essentiellement économiques – le commerce sino-africain a doublé entre 2000 et 2004 et devrait dépasser en 2006 celui avec les Etats-Unis (37 milliards de dollars) – leurs dimensions témoignent par ailleurs d’un pragmatisme et d’une nouvelle " realpolitik ". Une des priorités de la Chine est aujourd’hui d’assurer la sécurité de ses approvisionnements et des routes commerciales, expliquant ainsi sa présence à Djibouti lui permettant de contrôler l’ancienne route des Indes. Le principe de coopération est ici celui de la non-ingérence et de la souveraineté des Etats l’emportant sur celui des droits de l’homme – par opposition aux programmes mis en œuvre par l’Union – avec des relations économiques qui se tissent bien souvent en dehors des normes internationales (taux d’intérêts souvent gratuits, rôle des entreprises publiques chinoises liées à l’Etat et au parti, etc…).
Chantiers de coopération Europe-Etats-Unis en matière de sécurité et d’aide humanitaire – les programmes mis en œuvres par les Etats-Unis
Alors que l’Union Européenne – et en particulier la France – apparaît comme une véritable " puissance africaine " en raison des liens politiques, économiques, historiques et culturels qu’elle a traditionnellement entretenu sur le continent, les Etats-Unis apparaissent plutôt comme un nouvel acteur adaptant progressivement en Afrique sa vision globale des rapports internationaux, grâce à la promotion d’une politique de sécurité fondée sur les intérêts et valeurs qui constituent les fondements et le modus operandi de son statut sur la scène internationale.
A titre indicatif, plusieurs catégories de programmes ont été poursuivies par les Etats-Unis. Tout d’abord les programmes dits de Security Assistance par lesquels les Etats-Unis fournissent des matériels, des entraînements (essentiellement le programme E-IMET, visant à inculquer aux militaires étrangers les fondements démocratiques de la relation civilo-militaire) et autres services militaires. Les programmes dits de Foreign Internal Defense comprennent quant à eux le soutien politique, économique, informationnel et militaire procuré aux pays d’Afrique pour combattre les insurrections. Les politiques de sécurité menées par les Etats-Unis et l’Union ne sauraient pour autant être réduites à leurs seules dimensions militaires : ils reposent bien également sur la propension de ces politiques à intégrer la notion de sécurité humaine. Sous l’administration Clinton, les responsables américains ont ainsi eu tendance à considérer que la gestion des relations entre civils et militaires devait constituer l’un des principaux paramètres permettant d’assurer l’enracinement durable de la démocratie en Afrique. L’instauration de la démocratie étant l’un des objectifs ultimes de la National Security Strategy, les Etats-Unis se sont efforcés de soumettre à un contrôle civil les forces armées africaines ainsi qu’aux règles propres de la good governance. Plusieurs agences du gouvernement américain sont actuellement impliquées en Afrique pour soutenir ce dialogue politique entre acteurs civils et militaires – en particulier dans ce cadre la mise en place de programmes à vocation humanitaire ou Humanitarian Civic Action.
Par ailleurs, la principale innovation des politiques de sécurité et des chantiers de coopération Europe-Etats-Unis – récemment et dans les années 90 – est d’avoir mis l’accent sur l’entraînement des forces armées africaines aux mission de paix. En ce sens, le programme RECAMP tout comme le programme ACOTA (Africa Contingency Operation Training Assistance) ont rencontré un certain succès en termes d’affichage politique, notamment dans les enceintes internationales. Depuis son lancement à New York en 1997, le programme RECAMP (dont les trois volets sont la formation, l’équipement et l’entraînement), est ainsi devenu le symbole de la réorientation de la politique de sécurité menée envers l’Afrique – et plus spécifiquement de la politique française en la matière – afin d’assurer une prise en charge accrue par les Africains de leur propre sécurité. S’inscrivant dans une approche multilatérale, ce programme se veut en un sens le complément des actions bilatérales menées dans le cadre de la coopération internationale en accord avec les actions définies par la Charte de l’ONU.
Reste néanmoins la difficulté de coopération sur le terrain entre les Etats-Unis et l’Union. Les programmes RECAMP et ACRI (ancienne dénomination de ACOTA) ont été largement perçus en Afrique comme des programmes concurrents, dont la juxtaposition a donné lieu à de multiples critiques. C’est dans le cadre de l’ONU que la France – en particulier – et les Etats-Unis de concert avec la Grande-Bretagne se sont efforcés de coordonner leurs actions dans le cadre de l’accord P3 affirmant que le maintien de la paix en Afrique n’était pas le monopole d’une seule organisation ou d’un pays particulier.
Karine Lisbonne
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